Quotas francophones: 20 ans de défiance (suite)

Fin septembre, une partie des radios musicales privées ont lancé une campagne de désinformation intitulée "À la radio, j'écoute ce que je veux". Le but de cette opération était de contester un amendement au projet de loi relatif à la liberté de création disposant que (art. 11 ter):

Dans l’hypothèse où plus de la moitié du total des diffusions d’œuvres musicales d’expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France se concentre sur les dix œuvres musicales d’expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France les plus programmées par un service, les diffusions intervenant au delà de ce seuil ne sont pas prises en compte pour le respect des proportions fixées par la convention pour l’application des quatre premiers alinéas du présent 2° bis.

En clair, en cas d'adoption définitive, les radios ne pourront plus remplir leurs quotas en se contentant de passer en boucle une petite dizaine de morceaux. Les moyens déployés pour faire barrage à cette mesure donnent une idée de l'effroi que la diversité musicale inspire à ces radios: spots publicitaires, messages en direct des animateurs et journalistes, tribune, communiqué de presse, etc. Bref, les chantres de la "liberté d'expression" synonyme de rotations ultra-serrées fulminent. Malgré ces vains efforts de communication, le projet de loi a été adopté par les députés en première lecture le 6 octobre. Il est actuellement en cours d'examen par le Sénat et, sauf impondérable, l'amendement fâcheux devrait être adopté en l'état.

Et s'ils vont à l'encontre de l'objectif des radios commerciales, à savoir attirer un maximum d'auditeurs en prenant le moins de risque possible, les quotas remplissent une fonction saine pour le paysage radiophonique français et sa scène musicale.

Pourquoi des quotas ?

Comme rappelé dans le précédent billet à ce sujet, les quotas ont été introduits pour promouvoir la culture française et notamment la protéger de l'invasion continuelle de l'anglais qui traduit une certaine uniformisation (pour ne pas dire « américanisation », certains parlant même d'impérialisme culturel). Même s'il est vrai que cela n'a pas empêché la production de musique française de chuter, il est indéniable que la baisse a au moins été enrayée. Car il est clair au vu de ce qui a été dit précédemment que, sans cette obligation imposée aux radios, les diffusions seraient minimales voire inexistantes. Or les ondes sont encore un moyen de découverte majeur pour les nouveaux talents, même si leur part de marché ne cesse de décroitre au profit des sites de streaming dont le succès est grandissant du fait de la démocratisation de l'Internet mobile à très haut débit -- ce que les radios n'ont bien entendu pas manqué de souligner.

Quoi qu'il en soit le constat est là: depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la culture anglo-saxonne, et tout particulièrement américaine, s'est imposée, y compris dans la musique. L'illustration la plus marquante en est sans doute le Concours Eurovision de la chanson. Lors de la toute première édition, en 1956, la moitié des chansons étaient en français. En 1965, un candidat chante en anglais alors qu'il ne s'agit pas d'une langue officielle de son pays, ce qui amène les organisateurs à proscrire formellement ce cas de figure dès l'année suivante et jusqu'en 1973. Mais suite à l'édition 1976 où un tiers des chansons furent interprétées en anglais, la règle des idiomes nationaux fut rétablie jusqu'en 1999. Depuis, il ne subsiste plus d'obligation quant au choix de la langue d'interprétation. Résultat ? En 2008, aucune chanson n'a concouru en français. En 2015, seules cinq chansons sur trente n'étaient pas en anglais. Pourtant, chanter dans une langue que l'on maitrise peu ou mal n'apporte aucun avantage compétitif et n'en met en valeur aucune.

À l'heure où certains annoncent avec ravissement le déclin inéluctable des idiomes nationaux et l'avènement de l'anglais comme unique outil de communication universel, d'autres s'inquiètent de la menace de plus en plus prégnante que représente l'impérialisme linguistique. À force d'entendre majoritairement (si ce n'est quasi exclusivement) de la musique chantée en anglais, de voir des films et des séries en anglais, et même, dans une certaine mesure, de lire des textes artistiques dans cette même langue, on finit inconsciemment par considérer la sienne comme inapte ou simplement moins adaptée à l'expression culturelle. Cet état de fait, appelé perte de domaine, est symptomatique d'une phase de déclin préliminaire de la langue, à laquelle risque de succéder « une perte de substance réduisant l’usage de la langue au ménage, au jardin et à la cuisine ».

Enfin, ça n'est pas parce que les Anglo-Saxons (en particulier les Américains) n'hésitent pas à déployer des moyens colossaux pour assurer l'exportation de leur culture que le reste du monde doit nécessairement s'en faire le réceptacle passif.

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